Ubuntu : Vers un leadership plus humain

À l’heure où les organisations s’efforcent de s’adapter aux exigences du XXIe siècle, où la technologie et l’intelligence artificielle occupent une place prépondérante, le besoin de redéfinir le leadership devient crucial. En effet, les leaders d’aujourd’hui font face à une multitude de défis : gestion du changement, résolution de conflits, attraction et rétention des talents, intégration des nouvelles générations sur le marché du travail…

De plus, les modèles traditionnels, axés sur la hiérarchie et l’autorité, montrent clairement leurs limites face aux enjeux contemporains. C’est dans ce contexte que le concept d’Ubuntu émerge comme une source d’inspiration pour un leadership plus humain, authentique et bienveillant.

Mais qu’est-ce que l’Ubuntu et comment peut-il transformer notre approche du leadership ?

« Umuntu ngumuntu ngabantu » (littéralement « Une personne est une personne grâce aux autres ») est un proverbe zoulou qui résume Ubuntu. La traduction la plus couramment utilisée pour décrire le concept Ubuntu est « Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous », ou encore « Je suis parce que nous sommes ».

Souvent présenté comme une philosophie africaine issue des langues bantoues, Ubuntu est en réalité bien plus qu’une philosophie. C’est une manière d’être, de percevoir et d’agir dans le monde, un idéal visé, un horizon vers lequel nous sommes invités à marcher pour devenir chaque jour plus humain que la veille. Ubuntu peut également être défini comme un art de vivre, un ensemble de valeurs humanistes (respect, écoute, empathie, bienveillance, conscience, responsabilité, générosité, entraide, ouverture, solidarité, hospitalité…) à travers lesquelles le leader, en relation avec les autres et son environnement, contribue à sa propre réalisation.

Ubuntu se décline sous différentes appellations à travers l’Afrique : Imani chez les Hausa, Eniyan chez les Yoruba, Umunna chez les Igbo, Nitte chez les Wolof, Alodo chez les Fon… Ces variantes culturelles soulignent l’universalité des valeurs d’Ubuntu.

Un jour, une personne m’a posé la question suivante : “Qu’est-ce que l’Afrique a à apporter au monde du coaching ?” Bien que cette question m’ait quelque peu surprise sur le moment, la réponse s’est rapidement imposée : Ubuntu. Desmond Tutu disait d’ailleurs souvent qu’Ubuntu est le plus beau cadeau que l’Afrique ait à offrir au monde. Je le crois aussi. D’abord parce que la meilleure des technologies ou des Intelligences Artificielles ne remplaceront jamais la puissance des relations humaines. Ensuite, parce que nous avons tant à explorer et à apprendre de cette posture.

Rappelons que le concept d’Ubuntu a fait écho à travers le monde au début des années 90, grâce au travail de Nelson Mandela et de Desmond Tutu, qui l’ont fait découvrir au monde par la politique de réconciliation nationale qu’ils ont menée en Afrique du Sud suite à l’Apartheid, politique de ségrégation raciale. Ils se sont inspirés de l’Ubuntu pour apporter la paix en Afrique du Sud afin que l’abolition de l’Apartheid ne finisse pas dans un bain de sang. L’Ubuntu nous rappelle que notre humanité est inextricablement liée à celle des autres et que, pour aspirer à être un être humain digne de ce nom (Umuntu), nous sommes invités à cultiver notre Ubuntu.

Comment une philosophie africaine ancestrale peut-elle répondre aux défis organisationnels modernes ?

Voici 3 exemples de pratiques Ubuntu (tirés du parcours Leadership Ubuntu) dont les leaders peuvent s’inspirer pour oser plus d’humanité dans leurs organisations.

Anticiper les besoins des autres

Autrefois, l’homme qui allait en forêt prenait des victuailles à la fois pour lui-même mais aussi pour d’autres personnes qui passeraient derrière lui. Ainsi, il suspendait de la nourriture à la branche d’un arbre pour n’importe quelle autre personne qui en aurait besoin. Dans le même ordre d’idée, un voisin en difficulté pouvait bénéficier de l’aide d’un ou de plusieurs membres de sa communauté de façon anonyme. Ainsi, on lui déposait des vivres devant sa porte, sans qu’il sache de qui l’aide provenait afin qu’il ne se sente pas redevable de quoi que ce soit.

Enseignement
Les actes de générosité, d’entraide, de solidarité n’ont pas forcément besoin d’être clamés haut et fort. Ils peuvent se faire en toute discrétion et même dans le pur anonymat, ce qui a le potentiel de décupler la puissance du geste posé. Pour celui qui a reçu le bienfait, chaque personne qui l’entoure peut en être l’auteur, ce qui a le pouvoir de changer complètement son regard sur l’environnement dans lequel il évolue. Au sein de nos organisations, cela peut servir de levier et inspirer des pratiques gagnantes afin de favoriser le sentiment de reconnaissance, d’appartenance et l’inclusion. 

S’intéresser sincèrement à l’autre

Après 27 années de prison, Nelson Mandela était reconnu comme la personnification de l’Ubuntu. Ses qualités de leader ont fait de lui un homme admiré et respecté dans le monde entier. Le respect est d’ailleurs un principe clé de l’Ubuntu et a toujours constitué pour Mandela une de ses valeurs phares (respect de l’unicité de chacun, respect des règles et des traditions, respect de tout ce qui est vivant). L’une des façons dont Nelson Mandela incarnait le respect est qu’il s’intéressait sincèrement à l’autre par une écoute profonde, attentive et une qualité de présence extraordinaire. Tout d’abord, il respectait profondément le caractère unique des personnes dont il croisait le chemin. Ensuite, il était reconnu pour sa capacité à retenir chacun des noms des personnes qu’il rencontrait, mais aussi celui de leurs enfants, ainsi que des détails précis concernant leur situation. Ce qui étonnait souvent d’ailleurs positivement ses interlocuteurs. Ils se sentaient honorés d’obtenir tant d’attention d’un homme de sa stature.

Enseignement :
L’une des premières tâches du leader est d’établir des relations humaines harmonieuses et respectueuses dans son environnement, dans ses équipes, dans sa communauté.

Quand on offre du respect à l’autre, on a plus de chance d’être soi-même respecté. Et lorsque l’individu se sent respecté, c’est-à-dire écouté, considéré, valorisé, estimé, apprécié, encouragé à exprimer librement ses idées, il vous en sera reconnaissant : son engagement et sa loyauté envers votre équipe et votre organisation s’en trouveront renforcés. S’intéresser sincèrement à l’autre permet vous permet en tant que leader d’apprendre à mieux connaître les membres de votre équipe afin de leur permettre de mieux réussir ensemble au sein de votre organisation.

Reconnaître les forces de chacun

Dans l’esprit Ubuntu, lorsqu’un individu de la communauté a commis un acte répréhensible, au lieu d’être jugé et puni, il est placé au milieu d’un cercle et reconnu dans chacune de ses forces et de ses contributions au collectif. Chaque membre du groupe est invité à s’exprimer et nommer ce qui fait que la personne est unique dans son rôle et dans la place qu’elle occupe dans le groupe.

Enseignement :
Le fait de se sentir reconnu et valorisé, même dans des situations difficiles, a un effet bénéfique voire transformationnel sur l’individu. Ainsi, il est porté par la suite à offrir le meilleur de lui-même dans sa participation à la dynamique collective. Au sein de l’organisation, que ce soit dans un processus de cohésion, de synergie d’équipe ou encore de résolution de conflits, ce type de pratique peut faire la différence en transformant un employé démotivé et démobilisé en un employé engagé et dévoué. L’introduction de la pratique du Kasàlà pourrait par exemple être envisagée au sein des organisations en tant qu’initiative innovante génératrice de sens, de valeur et d’impact pour les leaders et leurs équipes.

Le passé nous sert de guide pour préparer l’avenir – Sagesse africaine

Ubuntu offre des pistes de réflexion et d’action vers un leadership renouvelé, profondément ancré dans des valeurs universelles, des sagesses ancestrales et dans un esprit de croissance collective. Je vous en ai présenté trois, cependant multiples sont les possibilités. 

Pour finir, j’invite chaque leader à se poser les 3 questions suivantes : 

• Quelle est ma vision d’un leadership plus humain ?
• Qu’est-ce qui pourrait rendre mon leadership encore plus humain ?
• Quelles en seraient les bénéfices au sein de l’organisation ?

Article publié dans  Coaching Magazine- Numéro spécial Afrique)